Stora n’a pas accordé d’importance aux conséquences sanitaires (Observatoire français)

Le directeur de l’Observatoire des armements en
France, Patrice Bouveret, a regretté, dans un entretien accordé à l’APS,
que l’historien Benjamin Stora n’ait pas accordé une “grande importance”
aux conséquences sanitaires sur les populations de Reggane et de
Tamanrasset, victimes des essais nucléaires effectués par la France en
Algérie.
“Nous regrettons que la place consacrée aux conséquences des 17 essais
nucléaires, réalisés par la France pendant la guerre d’Algérie et les cinq
premières années de l’indépendance, ne soient pas plus importante. Benjamin
Stora n’aborde que la question des déchets laissés par la France sur place,
sans souligner l’importance des conséquences sanitaires pour les
populations du Sahara”, a déploré M. Bouveret.
Il a estimé que ces conséquences sanitaires “ne peuvent pas être
considérées comme un problème dont la gestion reviendrait uniquement au
service de santé algérien, mais l’inquiétude vient surtout dans la mise en
œuvre des nombreuses recommandations du rapport”.
Les essais nucléaires criminels, menés par la France coloniale du 13
février au 1er mai 1966 à Reggane (Adrar) et In Ecker (Tamanrasset),
continuent de faire des ravages parmi les populations de la région, causant
des pathologies jusque-là méconnues, aujourd’hui perceptibles aussi bien
sur la santé humaine que l’environnement, la faune et la flore.
Le cofondateur et directeur de l’Observatoire des armements a rappelé que
des propositions pour le règlement des conséquences des essais nucléaires
ont été annoncées à deux reprises au moins, en 2008 et en 2012, par les
responsables politiques des deux pays, “sans qu’elles soient suivies d’une
mise en œuvre concrète”, relevant que la mission confiée par le président
Emmanuel Macron à l’historien Benjamin Stora “brassait un spectre très
large couvrant toute la période de la colonisation et la guerre d’Algérie”.
Le co-auteur, avec Jean-Marie Collin, de “Sous le sable, la radioactivité!
Déchets des essais nucléaires français en Algérie”, a également noté, en
enchainant sur l’absence d’indemnisation des victimes algériennes de ces
essais nucléaires, que cette question “ne concerne pas seulement les
victimes en Algérie, mais bien l’ensemble des personnes affectées”.
Il a fait savoir qu'”en dix ans d’existence de la loi de reconnaissance et
d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Loi Morin), seulement
363 personnes ont pu en bénéficier”, qualifiant cela de “ridicule au regard
des conséquences subies par l’ensemble des populations et des personnels,
suite aux 210 essais réalisés par la France entre 1960 et 1996 en Algérie
et en Polynésie”.
Citant les dernières données publiées par le Comité chargé d’examiner les
dossiers (Civen, Comité d’indemnisation des victimes des essais
nucléaires), il a révélé “qu’une seule indemnisation a été accordée à une
personne habitant en Algérie, contre 63 indemnisations à des personnes
résidant en Polynésie et 299 à des membres du personnel civil ou
militaire”.
Il a indiqué que “plusieurs raisons expliquent cette situation anormale”,
faisant observer que “si le gouvernement français a adopté une loi
d’indemnisation, c’est avant tout le résultat des actions menées durant de
nombreuses années par les populations, les personnels militaires et civils
des essais nucléaires avec le soutien des associations, tout
particulièrement de l’Observatoire des armements, de l’Aven (Association
des vétérans des essais nucléaires) et de l’association +Moruroa e nous+,
regroupant les anciens travailleurs polynésiens”.
A cela s’ajoutent des “actions menées au niveau des médias, des
parlementaires y compris devant la Justice”, a-t-il dit, estimant qu’en
Algérie “la constitution d’associations de victimes a été plus tardive et
rencontre encore beaucoup de difficultés pour se faire entendre”.
Soulignant que la loi Morin pose le principe de réparation du préjudice
subi pour toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant
des essais nucléaires, M. Bouveret a noté que “les démarches pour
bénéficier de cette la loi ne sont pas des plus simples, notamment pour les
populations vivant dans la zone des essais”.
“Outre que tout se passe en français dans un pays où la langue officielle
est l’arabe, il faut rassembler nombre de pièces administratives et pouvoir
se déplacer si besoin en France. Il faudrait, par exemple, que la France,
en concertation avec l’Algérie, dépêche des équipes socio-médicales sur
place pour aider à la constitution des dossiers. Nous en sommes loin”,
a-t-il encore regretté.
Il a ajouté que la loi Morin “pose le principe de réparation du préjudice
subi pour toute personne souffrant d’une maladie radio-induite résultant
des essais nucléaires”, relevant que “le problème réside dans son
application qui repose, pour une large part, sur de simples décrets pris
par le gouvernement”.
M.Bouveret a expliqué que parmi “les mesures rapides qui pourraient être
prises concernant particulièrement les populations en Algérie, c’est, d’une
part, élargir les zones où les personnes doivent avoir séjourné et, d’autre
part, compléter la liste des maladies ouvrant droit à l’indemnisation”.
En outre, il a estimé que la loi pourrait être modifiée “au niveau de la
prise en compte des conséquences génétiques et de leur transmission pour
les générations suivantes”, rappelant que depuis son adoption en 2010, “la
loi Morin a déjà été modifiée à plusieurs reprises afin de permettre sa
mise en œuvre effective”.