Personnes âgées: lorsque la convivialité des centres se substitue à la chaleur familiale

Pour les personnes âgées arrachées au giron familial, la convivialité des centres d’accueil, où les tourments de leurs vécus les ont contraintes d’y vivre, se substitue parfois à la chaleur familiale, mais sans jamais l’égaler, reconnaissent-ils.
L’ambiance est fêtarde au centre d’accueil des personnes âgées de Bab Ezzouar, à l’occasion de la célébration du Mawlid Ennabaoui, qui a vu les pensionnaires de cet établissement réunis avec ceux de Sidi Moussa et de Dely-Brahim, à la faveur d’une initiative du ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Condition de la femme.
Tout est fait pour que cette célébration soit semblable à celle traditionnellement perpétuée dans les foyers algériens depuis des générations: des friandises et autres gâteaux de circonstances, des bougies allumées, du henné et de l’encens, le tout sur fond musical entonné par un groupe algérois qui a revisité le répertoire du chant religieux “Medh” vantant les valeurs par lesquelles s’est distingué le prophète Mohamed (QLSSL).
“Khalti Louiza”, vêtue de robe kabyle, occupe la piste de danse et s’y laisse aller à coeur joie. Elle s’empare, à un moment donné, du micro pour louer elle-même les vertus du “Messager de Dieu”, tout en poussant des youyous. Une expansion de gaieté qui exprime un bonheur perdu, celui de se sentir “entourée”, explique-t-elle, et que ne peuvent apprécier que ceux que les caprices de la vie ont contraints à la solitude, car cela fait prés de 23 ans que cette septuagénaire réside dans le foyer de Dely-Brahim après que sa sœur qui, l’ayant hébergée quelques années, l’eût chassée de chez elle. En l’absence des parents et d’un domicile familial, elle n’eut d’autre choix que cet établissement au sein duquel elle a retrouvé le sens de la “collectivité” et tissé des liens de fraternité qui défient ceux du sang.
“J’ai deux filles mariées qui me supplient d’aller vivre avec elles, mais ma fierté refuse l’hospitalité d’un gendre. Par contre, c’est à mon fils unique qu’incombe l’obligation de me prendre en charge. Or, il semble oublier qu’il a une mère qu’il n’a jamais visitée depuis que je suis au pensionnat”, lâche-t-elle, amère.
L’habitude et le renoncement ayant pris le pas sur l’amertume et la blessure, la maman affirme qu’elle en est arrivée à “oublier l’existence de cette progéniture et à ne point se soucier de son sort”. Cette bonne vivante se félicite, en revanche, d’avoir trouvé son “salut” au sein de sa nouvelle famille au centre accueil.
C’est le même sentiment qui permet à “L’hadj Mohamed” de transcender, par moments, les séquelles d’un vécu contrarié. A près de 80 ans, ce pensionnaire du centre de Bab Ezzouar en affiche, cependant, davantage.
Contrairement à “Khalti Louiza”, il semble n’avoir pas réussi à se libérer totalement du poids de son vécu, à tel point qu’il éprouve le besoin d’imputer la détresse dans laquelle il est plongé depuis près de 30 ans à un prétendu “décès” de son épouse, plutôt que d’évoquer le douloureux épisode de son divorce, tel que l’explique une des éducatrices spécialisées en charge de l’accompagnement des pensionnaires.
“J’ai roulé ma bosse dès mon jeune âge en tant que chauffeur chez des particuliers, mais faute d’avoir été assuré, je me suis retrouvé sans le sou et sans un toit lorsque les propriétaires du domicile dans lequel j’étais avec ma famille nous ont jetés à la rue !”, se remémore-t-il, dépité.
Les cérémonials des fêtes religieuses et autres jours fériés sont souvent source de “tourmente” pour L’hadj Mohamed tant ils lui rappellent le foyer familial dont il est privé. De temps à autre, il le retrouve aux côtés de sa soeur qui réside à Tipaza et à qui il rend visite à la faveur d’autorisations accordées par la direction du centre pour une durée d’un mois. “Ces autorisations sont une protection pour les pensionnaires, elles nous permettent de les retrouver en cas d’incidents de parcours”, explique l’éducatrice.
Les pensionnaires, c’est ma “nouvelle famille”
Pour M. Belkacem, les locataires de ce centre, réservé aux hommes, constituent également sa “nouvelle famille” depuis le Ramadan écoulé, période à laquelle il a décidé de rejoindre cet établissement après avoir divorcé de son épouse. “Je ne pouvais plus m’entendre avec elle, je l’ai quittée et laissé le domicile familial à mes trois enfants. J’avais besoin de tout abandonner derrière moi et fuir les problèmes”, a-t-il témoigné.
Ce retraité de la fonction publique a fêté récemment ses 64 ans à la Mecque en Arabie Saoudite où il a accompli le rite du hadj grâce à une initiative du ministère de tutelle et s’apprête, à l’instar de “Khalti Louiza”, à effectuer prochainement sa première Omra.
Une perspective qui le remplit de joie, soutient-il, avant d’assurer qu’il trouve aussi son bonheur dans les tâches de bricolage et de jardinage qui s’offrent à lui dans le centre. “Cela occupe bien mes journées!”, ajoute-t-il, avant d’avouer avoir retrouvé, aux côtés des autres pensionnaires, une “certaine joie de vivre”, du reste bien évidente à travers sa bonhomie.
Les retrouvailles avec les locataires d’autres pensions apportent, à chaque occasion, leur lot de joie et de partage, dit-il, tout en se réjouissant de fêter le Mawlid Ennabaoui comme si c’était “à la maison”.
L’espace de quelques heures, la joie de “ne pas se sentir seul” prend le dessus sur la tristesse des ressassements d’un passé tourmenté.
C’est à cela qu’a voulu s’arracher, le temps d’une célébration, A. Meriem, une mère de famille que le divorce et l’absence d’une quelconque issue ont fait échouer au centre de Dely-Brahim. “Mon mari me traitait mal, mais je l’ai supporté pendant dix ans pour ne pas divorcer. C’est ma belle-mère qui l’a pressé d’en arriver là”, lâche-t-elle sur un ton de dépit.
Au départ, cette quadragénaire a trouvé refuge chez son frère qui a, à son tour, fini par céder aux pressions de son épouse qui le persuadait de chasser sa sœur. “J’ai deux sœurs mariées qui veulent bien me recueillir chez elles, mais ce n’est pas une solution”, poursuit-elle, estimant que les visites de sa fille, son seul enfant, lui procurent un “bonheur indescriptible”.
Derrière des expressions de joie, tous les pensionnaires semblent dissimuler des récits aussi troublants les uns que les autres. Pour tous, la vie continue “quand même” dans les établissements d’accueil qui les prémunissent des vicissitudes et autres dangers de la rue, mais ils sont tous d’accord que “rien ne vaut le bonheur et le confort du chez soi”.