Mémoire Algéro-française Ce que propose Benjamin Stora

Après plusieurs mois de travail, l’historien Benjamin Stora a remis hier son rapport à Emmanuel Macron. Il recommande notamment la mise en place d’une commission « Mémoire et Vérité » chargée d’impulser des initiatives mémorielles communes entre la France et l’Algérie. L’historien propose que cette commission soit composée de «différentes personnalités engagées dans le dialogue franco-algérien.

Cette commission va formuler, selon l’historien, certaines propitions. Il s’agit par exemple de poursuivre les commémorations, comme celle du 19 mars 1962 demandée par plusieurs associations d’anciens combattants à propos des accords d’Evian, premier pas vers la fin de la guerre d’Algérie. D’autres initiatives de commémorations importantes pourraient être organisées autour de la participation des Européens d’Algérie à la seconde guerre mondiale ; du 25 septembre, journée d’hommage aux harkis et autres membres de formations supplétives dans la guerre d’Algérie ; du 17 octobre 1961, à propos de la répression des travailleurs algériens en France. A tous ces moments de commémoration pourraient être invités les représentants des groupes de mémoires concernés par cette histoire.

A cela, il faut ajouter la nécessité d’organiser le recueil par cette commission de la parole des témoins frappés douloureusement par cette guerre pour établir plus de vérités et parvenir à la réconciliation des mémoires.

La réhabilitation de Emir Abdelkader fait également partie de ces initiatives et cela passe par la construction d’une stèle à l’effigie de l’émir, qui lutta contre la conquête de l’Algérie par la France au milieu du XIXe siècle, à Amboise (Indre-et-Loire), où il vécut en exil entre 1848 et 1852. Le monument pourrait être érigé à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, en 2022.

Autre personnalité algérienne à réhabiliter : Ali Boumendjel. La France va ainsi reconnaitre l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel, dirigeant politique du nationalisme algérien, tué pendant la bataille d’Alger, en 1957. Ce geste ferait suite à la déclaration du président Emmanuel Macron concernant Maurice Audin en septembre 2018.

En plus de Ali Mendjeli, la France veut oeuvrer à la publication d’un « guide des disparus » (algériens et européens) de la guerre d’Algérie, sur la base des recherches du « groupe de travail » créé à la suite de la déclaration d’amitié signée lors de la visite du président François Hollande à Alger en 2012. Ce groupe avait été mis en place pour permettre la localisation des sépultures des disparus algériens et français de la guerre d’indépendance. Il devra poursuivre son travail.

A propos des essais nucléaires et mines, la partie française veut poursuivre le travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires français en Algérie, réalisés entre 1960 et 1966, et leurs conséquences, ainsi que la pose des mines aux frontières. Il en sera de même pour les restes humains. Le comité mixte d’experts scientifiques algériens et français chargés d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXe siècle, conservés au Muséum national d’histoire naturelle va poursuivre son action.

En revanche, le dossier des harkis risque de bloquer le travail de mémoire. Les Français demandent à voir avec les autorités algériennes la possibilité de faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.

Sur un autre plan, a l’instar de la mesure instaurée par le président de la République française visant à donner à des rues de communes françaises des noms de personnes issues de l’immigration et de l’outre-mer, inscrire des noms de Français d’origine européenne particulièrement méritants, en particulier médecins, artistes, enseignants, issus de territoires antérieurement placés sous la souveraineté de la France, note le document qui ajoute qu’il faut activer le groupe de travail conjoint sur les archives, constitué en 2013 à la suite de la visite du président Hollande en 2012. Le groupe s’est réuni à six reprises, jusqu’au 31 mars 2016. Ce groupe de travail sur les archives devra faire le point sur l’inventaire des archives emmenées par la France et laissées par la France en Algérie. Sur la base de ce travail d’inventaire, certaines archives (originaux) seraient récupérées par l’Algérie. Celles laissées en Algérie pourront être consultées par les chercheurs français et algériens. Le « comité de pilotage » pourrait proposer la constitution d’un premier fond d’archives commun aux deux pays, librement accessible.

Faciliter l’obtention de visas de chercheurs est un autre axe de travail que veulent se donner les deux Etats. « La coopération universitaire pourrait, avant le règlement de la domiciliation des archives, trouver un moyen pour chacune des parties de montrer la volonté de transparence du passé commun », indique le texte. La France proposerait ainsi de donner chaque année à dix chercheurs, inscrits en thèse sur l’histoire de l’Algérie coloniale et la guerre d’indépendance dans un établissement universitaire algérien, la possibilité d’effectuer des recherches dans les fonds d’archive en France. « Le visa de chercheur à entrées multiples serait d’une durée de six mois, pouvant être prolongé de trois mois, ce qui correspond à une année universitaire. Le chercheur pourrait ainsi effectuer des allers-retours en fonction des besoins de sa recherche. Ce visa pourrait être renouvelable », note encore le document.

Afin que ces recherches puissent effectuées dans de bonnes conditions matérielles, un accord serait passé avec le Centre national des œuvres universitaires (Cnous) pour mettre à disposition une chambre au sein d’une cité universitaire proche des lieux d’archive dans des modalités pratiques à approfondir. Enfin, ces étudiants pourraient bénéficier pendant leur séjour en France de la même bourse d’étude que les étudiants français inscrits en thèse, au prorata de la durée de séjour.

En parallèle, des étudiants français, dans un nombre qui reste à discuter avec les autorités algériennes, devraient pouvoir bénéficier d’un visa à entrées multiples et d’un accès facilité aux archives algériennes concernant la même période.

Dans le domaine de l’édition, il y a lieu de favoriser la diffusion des travaux des historiens par la création d’une collection « franco-algérienne » dans une grande maison d’édition. L’objectif serait de poser des bases communes aux mémoires particulières, de définir un cadre acceptable par tous, des deux côtés de la Méditerranée.

Il en est de même dans la démarche de créer un fonds permettant la traduction du français vers l’arabe et de l’arabe vers le français d’œuvres littéraires et à caractère historique. Ce fonds pourra également prendre en charge les écrits de langue berbère.

Pour les programmes scolaires, l’historien recommande d’accorder plus de place à l’histoire de la France en Algérie. A côté d’une avancée récente – ne plus traiter de la guerre sans parler de la colonisation –, il convient de généraliser cet enseignement à l’ensemble des élèves (y compris dans les lycées professionnels), tout comme il faut aller vers la mise en place d’un office franco-algérien de la jeunesse, chargé principalement d’impulser les œuvres de jeunes créateurs (œuvres d’animation, courts-métrages de fiction, création de plate-forme numérique pour le son et l’image).

L’autre sujet qui a toujours empoisonné les relations entre les deux pays, le canon Baba Merzoug va être au centre des discussions. Il est préconisé de créer une commission franco-algérienne d’historiens chargée d’établir l’historique du canon « Baba Merzoug » ou « La Consulaire », ravi lors de la conquête d’Alger en 1830 et installé à l’arsenal de Brest, et de formuler des propositions partagées quant à son avenir, respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée.

Du coté algérien, l’historien Abdelmadjid Chikhi va soumettre un dossier pour le président Abdelmadjid Tebboune.

Saïd Sadia

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