Le rapport de Stora surfe sur un entre-deux “périlleux”

Le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation
et la Guerre de libération surfe sur un entre-deux “périlleux” où “les
responsabilités étaient toujours symétriques” face à une “asymétrie des
réparations” des victimes, a regretté l’expert international en gestion
stratégique des risques, Seddik Larkeche.
“Vous avez fait le pari de surfer sur un entre-deux où les
responsabilités étaient toujours symétriques pour sauver une laborieuse
tentative de démonstration qui ne pouvait aboutir pour faire face aux
démons du passé. Avec une équation intenable, la symétrie des mémoires et
des responsabilités, face à une asymétrie des réparations à l’encontre des
victimes, le tout renforcé par une formalisation difficile d’accès comme si
volontaire”, a-t-il écrit dans une libre tribune rendue publique et dont
une copie a été transmise à l’APS.
Déplorant “un jeu permanent de tentative d’équilibre entre la puissance
coloniale, les européens, les Harkis et les autochtones algériens”, ce
professeur des universités a pointé du doigt la “subjectivité assumée” de
Benjamin Stora et esquissée par la référence à de nombreux auteurs pour
“soutenir un discours orienté sur une histoire mémorielle et de la Guerre
d’Algérie”.
“Il semblerait que votre cheminement soit construit avec le prisme
d’une symétrie permanente des phénomènes observés s’éloignant de la réalité
historique qui était tout sauf équilibrée entre les différents
protagonistes”, a-t-il ajouté, à l’adresse de Benjamin Stora.
Il a reproché à l’historien sa volonté d’esquiver cette “violence inouïe à
l’égard des autochtones algériens” de 1830 à 1962 pour “tenter de justifier
une symétrie des mémoires et par prolongement des responsabilités”.
“Alors que la responsabilité de la colonisation est unilatérale, vous
feignez de ne pas savoir que du côté de la puissance coloniale et des
Européens qui s’y accolaient, la violence était massive et industrielle
alors que du côté des indigènes algériens, elle était en réaction,
ponctuelle et artisanale”, a-t-il soutenu.
Pour Seddik Larkeche, “ce n’est pas la guerre de décolonisation qui fut la
plus brutale mais la conquête avec près de 30 % de la population qui fut
décimée avec une rare violence”.
“Le récit officiel français ne veut s’étaler sur cette tragédie ou pour
certains l’édulcore -comme vous le faites- avec ce concept de
brutalisation”, a-t-il dénoncé, expliquant que l’historien utilise ce
concept pour “corroborer” sa “tentative de démonstration des symétries des
responsabilités et d’une société coloniale qui avait aussi de bons côtés
dans un monde de contact et d’interactions positives”.
Il a avancé, dans ce contexte, que la ligne de conduite du colonialisme
est semblable à celle du nazisme, voire pire. “L’idéologie coloniale est
plus pernicieuse que l’idéologie nazie qui a pourtant cultivé le malheur de
vouloir explicitement la mort de l’autre dans un système totalitaire. La
doctrine coloniale est plus sournoise car elle est associée à un modèle
démocratique. Elle se cache derrière les fondements républicains pour mieux
asseoir le mythe de la mission civilisatrice par les massacres et la
domination”, a-t-il affirmé.
L’ignominie française en Algérie, a-t-il poursuivi, “se traduit par les
massacres qui se sont étalés sur près de cent-trente années (cent trente),
avec une évolution passant des enfumades au moment de la conquête, aux
massacres successifs de villages entiers …pour aller vers les crimes
contre l’Humanité du 8 mai 45”.

Marche-arrière dans l’apaisement des mémoires

Il s’est interrogé, à ce propos, sur “cette marche arrière entre 2011 et
2021” de Stora qui ne propose plus , dans ses préconisations, la
reconnaissance du 17 octobre 1961 comme crime d’Etat, mais aussi sur son
“silence” concernant la reconnaissance du 8 mai 45 qui est un crime contre
l’humanité.
Selon cet expert, le lecteur ressent le parti pris politique de
l’historien dans son rapport, du début jusqu’à la fin, pour “en devenir
gênant”.
“Nous percevons assez vite que votre objectif est de tenter -par
quelques propositions- de ne pas intervenir sur l’essentiel, la
reconnaissance pleine et entière de la responsabilité de l’Etat français
dans la colonisation qui a été effroyable pour la majorité des Algériens
avec des crimes contre l’humanité et des crimes d’Etat”, a-t-il affirmé.
Il a soutenu, à ce titre, que la posture développée par l’historien
français, “supposée ambitieuse, nous fait, en réalité, reculer dans
l’apaisement des mémoires”, reprochant à celui-ci de ne pas avoir su saisir
l’opportunité de franchir un palier qui était celui de la responsabilité et
de la reconnaissance.
“Sur vos recommandations, elles n’apportent rien de nouveau que les
conclusions des comités mixtes franco-algériens qui se réunissent
régulièrement, sinon une marche arrière dans l’apaisement des mémoires”,
a-t-il jugé, estimant que les quelques propositions avancées dans le
rapport “semblent maintenir l’essentiel, en l’espèce la position dramatique
de ne pas reconnaître pleinement les responsabilités de l’Etat français”.
“Ce qui est troublant, c’est qu’il semblerait que vous vous soyez raidi
avec le temps, comme si votre vocation d’historien avait été supplantée par
une dimension politique”, a-t-il écrit , regrettant que Stora n’ait pas
emboiter le pas au président français Emmanuel Macron qui avait ouvert la
voie en reconnaissant les crimes contre l’humanité et les excuses
nécessaires.
“Au lieu de s’inscrire dans cette continuité idéologique du président
Macron, vous avez fait marche arrière avec l’ambition d’esquiver les
questions clés et de surfer sur le thème de symétrie des responsabilités et
la communautarisation des mémoires qui stigmatise toujours un peu plus les
franco-algériens”, a-t-il déploré.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *